Le 12 juin dernier, cinq éminentes scientifiques se sont vu décerner le Prix international L'Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science, au cours d’une cérémonie organisée au siège de l’Unesco, à Paris. Une distinction qui récompense, depuis sa création il y a 27 ans, des femmes scientifiques au rôle déterminant dans l’histoire des sciences contemporaine.
Techniques de l’Ingénieur vous propose un tête-à-tête avec quatre¹ de ces scientifiques, pour évoquer à la fois leur carrière, et leur vision de la place des femmes dans le monde de la recherche scientifique.
Pour le premier entretien de cette série, partons à la rencontre de la lauréate nord-américaine de ce prix L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science 2025 : la professeure Barbara Finlayson-Pitts, récompensée pour ses travaux de recherche en chimie atmosphérique.
Professeure au sein du département de Chimie et co-directrice de l’Institut de Recherche Intégrée sur l’Atmosphère de l’Université de Californie à Irvine (USA), Barbara Finlayson-Pitts est une éminente spécialiste de la chimie atmosphérique. Ses travaux pionniers ont en effet largement contribué à bouleverser notre compréhension des mécanismes chimiques fondamentaux à l’origine de la formation de la pollution atmosphérique, et plus particulièrement du smog, dans lequel sont régulièrement plongées de nombreuses villes dans le monde. En permettant ainsi d’affiner les outils de modélisation atmosphériques, les résultats qu’elle a obtenus au cours de sa carrière ont permis la mise en place de politiques publiques plus pertinentes en matière de lutte contre la pollution de l’air. Pionnière dans son domaine, Barbara Finlayson-Pitts espère que son exemple incitera les jeunes filles à oser se lancer dans une carrière scientifique telle que la sienne, aussi formidable que passionnante, pour reprendre ses mots.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qui vous amenée à consacrer votre carrière aux sciences de l’environnement, et plus particulièrement à la chimie atmosphérique ?

Barbara Finlayson-Pitts : Lorsque j’étais jeune étudiante à l’Université Trent, au Canada, j’ai eu la chance de suivre les cours d’un enseignant exceptionnel qui, dans le cadre de son laboratoire de chimie physique, nous a fait découvrir la chimie des aurores boréales ; un sujet sur lequel il avait mené un travail de post-doctorat. Cela a été une véritable révélation pour moi. Je me suis dit : « Oh ! Il y a de la chimie dans l’atmosphère ! » Je m’imaginais jusqu’alors qu’il s’agissait simplement d’un milieu inerte… J’ai donc commencé à m’intéresser au sujet, par des lectures notamment qui m’ont permis de découvrir une chimie absolument fascinante.
Ensuite, je me suis aperçue qu’une petite communauté de chercheurs s’intéressait à la pollution de l’air, et plus spécifiquement au smog. Le sujet était particulièrement prégnant à Los Angeles il y a plusieurs décennies. Le phénomène est devenu si intense, qu’en déterminer les causes – afin, in fine, de trouver comment y remédier – s’est révélé impératif. En 1970, j’ai donc décidé de me rendre en Californie, pour y effectuer un doctorat sur le sujet, que j’ai obtenu en 1973.
Si vous ne deviez retenir qu’un ou deux exemples de découvertes majeures auxquelles vous avez contribué, lesquelles citeriez-vous ?
Oh, c’est une question difficile ! (Rires) Mon équipe et moi avons en effet travaillé sur tant de chouettes sujets ! Je pense malgré tout que l’une des principales avancées qui m’a fait connaître est la découverte du rôle des particules de sel marin en tant qu’accélératrices du phénomène de formation du smog dans des villes côtières telles que Los Angeles.
C’est d’ailleurs toujours assez délicat à expliquer au grand public. Les gens ont en effet tendance à croire que ces particules d’origine naturelle sont directement à l’origine de la pollution atmosphérique. Or, ça n’est pas le cas ! Pour qu’il y ait pollution atmosphérique, il faut en effet qu’il y ait des émissions de particules d’origine anthropique – notamment celles qui sont issues de la combustion de ressources fossiles – et que celles-ci interagissent avec ces particules naturelles que j’évoquais, telles que le sel marin.
Parallèlement à cela, j’ai aussi fait des découvertes vraiment intéressantes concernant des aspects plus fondamentaux de la chimie atmosphérique. En général, c’est plutôt la chimie fondamentale qui permet d’apporter un éclairage sur la chimie atmosphérique. Mais mon équipe et moi avons plutôt choisi d’adopter la démarche inverse, en construisant un dispositif expérimental – une chambre à aérosols – nous permettant d’étudier les réactions entre les particules que j’évoquais. Au départ, uniquement des particules solides, puis également des particules à l’état liquide – beaucoup plus complexes à étudier expérimentalement – lorsque je suis arrivée à l’Université de Californie à Irvine.

Nous pressentions qu’une réaction d’oxydation entrait en jeu, avec pour conséquence la formation de molécules de dichlore, Cl2. Nous avons donc adjoint à la chambre un équipement très sophistiqué capable de mesurer de très faibles concentrations de ce dichlore potentiellement formé… Et c’est effectivement ce qui s’est produit : nous avons pu détecter la formation de cette molécule, et donc, en conclure que cette réaction que nous pressentions pouvait effectivement se dérouler dans l’atmosphère, en contribuant alors à la formation du smog.
Cette réaction a ainsi pu être intégrée aux grands modèles atmosphériques développés par mes collègues ingénieurs. L’un de mes étudiants, particulièrement brillant, s’est ensuite lancé, dans le cadre de son master, dans un projet de modélisation, qui nous a permis d’aller plus loin encore dans la compréhension du phénomène. Les résultats qu’il a obtenus par simulation se sont en effet révélés très largement inférieurs aux quantités de dichlore que nous mesurions expérimentalement… Pour expliquer cette différence, nous en sommes arrivés à la conclusion que les réactions entre le sel et les autres aérosols devaient avoir lieu au niveau de la surface de ces particules. Ce qu’aucun chimiste ne pensait alors possible…
Cette découverte a ainsi profondément modifié notre vision fondamentale de la chimie liée à ces particules atmosphériques, et a finalement amené de nombreux autres chercheurs à s’intéresser au sujet.
À quelles applications concrètes vos découvertes fondamentales ont-elles d’ores et déjà mené, ou pourront-elles aboutir à l’avenir ?
Ces découvertes liées à mes travaux permettent aujourd’hui aux spécialistes de la modélisation atmosphérique de déterminer les politiques les plus pertinentes et les plus économiquement viables visant à protéger la santé et le bien-être des populations, mais aussi le climat mondial. J’ai l’espoir que tout cela finisse par nous permettre de régler une fois pour toutes le problème crucial de la qualité de l’air.
Comment accueillez-vous ce Prix International L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science qui vous a été décerné le 12 juin dernier ? Pensez-vous que votre exemple puisse inciter d’autres femmes, et plus particulièrement des jeunes filles en âge scolaire, à se lancer elles aussi dans une carrière scientifique ?
Ce prix est pour moi une reconnaissance exceptionnelle, qui récompense le travail de toute une vie !
En ce qui concerne mon potentiel statut de role model pour de futures femmes scientifiques…, eh bien, vous savez, avant que je ne débute véritablement ma carrière, à la toute fin des années 1960, une conférence en chimie atmosphérique a eu lieu, réunissant une centaine de personnes. Parmi elles, aucune femme ! En 1973, trois femmes ont assisté à ce même évènement – j’étais l’une d’entre elles. Aujourd’hui, cette conférence compte près de 50 % de femmes. Je n’ai pour ma part pas eu de role model, mais les choses ont donc fini par changer !
Je me suis d’ailleurs aperçue, au fil des années, que mon équipe de recherche était majoritairement composée de femmes. Dans le cadre des cours que je donne à l’université, j’ai aussi constaté la tendance qu’ont beaucoup de femmes à s’impliquer dans des travaux de recherche susceptibles d’avoir un effet immédiatement tangible, de faire avancer la société vers davantage de bien-être. C’est également ce qui m’a motivée à me lancer dans la carrière scientifique que récompense aujourd’hui ce prix L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science.
J’espère qu’il contribuera à montrer à la jeune génération qu’en tant que femme, embrasser une carrière scientifique peut être quelque chose de formidable et de passionnant, et les incitera à faire ce choix.
¹ La cinquième lauréate de cette 27e édition était absente pour raisons de santé lors de cette cérémonie du 12 juin 2025.
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