Comment l’industrie française doit-elle réagir à la politique de Trump ? Début avril, les industriels français étaient réunis à Bercy afin de trouver une réponse collective à l’application de droits de douane réciproques. De leur côté, certaines filières, dont la compétitivité est particulièrement menacée, n’ont pas tardé à réagir. C’est le cas du secteur naval, dont le syndicat professionnel, le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), vient de publier ses recommandations stratégiques.
Dans sa récente note de position intitulée Impact de la politique protectionniste de la nouvelle administration Trump pour le secteur naval, le GICAN, ne laisse guère de place au doute. « La relance de l’industrie maritime américaine n’est pas un accident politique, mais un choix stratégique assumé par l’administration Trump ».
Pour le GICAN, l’Europe ne doit donc pas être naïve : pour conserver une industrie navale forte, elle devra défendre ses intérêts stratégiques avec autant de détermination que la Chine et les États-Unis. Si elle ne le fait pas, elle deviendra le simple spectateur d’une compétition mondiale qui tient désormais davantage du chacun pour soi que du multilatéralisme.
Des actions visant à restaurer la domination maritime américaine
On entend parfois dire que Trump est fou. En réalité, si les mesures prises par son administration peuvent paraître extrêmes, elles sont la conséquence de constats réels. Et en ce qui concerne le secteur maritime, il faut remonter à 2024 pour comprendre la stratégie actuelle, lorsque les États-Unis ont lancé, sous l’administration Biden, une enquête portant sur les distorsions de concurrence liées aux « actes, politiques et pratiques de la Chine visant à dominer les secteurs maritime, logistique et de la construction navale ».
Or, les conclusions de ce rapport ont été révélées en janvier 2025 et il n’aura pas fallu longtemps à l’administration Trump pour publier des ordres exécutifs visant à restaurer la domination maritime américaine.
Le GICAN estime que ces mesures peuvent avoir trois conséquences pour l’industrie navale :
- Redirection des commandes vers des pays comme le Japon et la Corée du Sud.
- Réorganisation de la chaîne de valeur, au détriment des équipementiers européens.
- Fuite du savoir-faire des constructeurs navals européens, poussés à investir aux États-Unis.
Les recommandations stratégiques du GICAN
D’ailleurs, en matière de questions maritimes, les États-Unis ne se contentent pas de mesures protectionnistes. C’est toute une nouvelle législation qui est en préparation, notamment avec le « SHIPS for America Act », dont le but est de développer une flotte sous pavillon américain et de stimuler la demande de nouvelles constructions et de réparations dans les chantiers navals du pays.
Face à de telles ambitions, l’Europe n’a donc pas le choix : elle devra répondre avec une vraie stratégie industrielle tout aussi ambitieuse.
Le GICAN propose ainsi 22 actions « permettant de soutenir la compétitivité des chantiers européens et d’inciter à la commande des armateurs en Europe ».
Ces actions concernent tous les aspects de la filière maritime : résilience de la supply chain, protection des infrastructures maritimes, technologies propres, digitalisation, montée en compétences et renforcement de notre accès au marché.
Un risque de fuite d’investissements vers les USA
Les premiers impactés par cette politique agressive seront les armateurs ayant des activités aux États-Unis, mais aussi les consommateurs américains, puisque les redevances imposées aux navires seront répercutées sur les prix des biens importés.
Néanmoins, le GICAN souligne qu’à court terme, comme les États-Unis ne disposent pas encore de capacités de production suffisantes, cela pourrait pousser les armateurs à se tourner vers l’Europe pour la construction de navires.
Mais sur le moyen et long terme, la stratégie visant à inciter les investisseurs à s’implanter aux États-Unis pourrait bien menacer nos industries. Car, il faut l’admettre, cette politique de relocalisation « forcée » a une chance de fonctionner !
Il suffit de voir comment le groupe français CMA-CGM a réagi aux annonces concernant les redevances sur les navires construits en Chine[1] : dès le lendemain, le groupe déclarait vouloir investir « 18,52 milliards d’euros aux États-Unis, destinés au développement d’infrastructures et de terminaux logistiques pour le transport maritime. »
Si l’annonce avait de quoi ravir Trump, le GICAN note dans son rapport que « cet investissement massif, réalisé par un acteur européen majeur, constitue autant de ressources qui ne bénéficieront pas à l’industrie de construction navale européenne. »
Le gouvernement français (qui a récemment appelé au patriotisme économique) n’a pas apprécié non plus. Il faut dire que, compte tenu du contexte de guerre commerciale ouvertement lancée contre l’Europe, cette annonce de l’armateur a été perçue, au mieux comme une gifle, au pire comme une forme de trahison.
La politique de Trump, un frein à la croissance du marché des drones maritimes
Par ailleurs, cette politique risque aussi d’impacter le marché des drones maritimes, dont les exportations ont triplé entre 2022 et 2023, boostées par une dynamique de croissance vers les États-Unis ! Or, l’écosystème français est particulièrement riche, puisque plusieurs industriels français sont actifs dans ce domaine[2].
Néanmoins, bien que les appels d’offres se multiplient outre-Atlantique, la répercussion des taxes Trump sur les prix risque malheureusement de pénaliser les solutions françaises et aussi de freiner la croissance du marché.
Mais restons positifs : avec l’administration Trump, tout est possible. Car une guerre commerciale ne fait pas de gagnants et, face au recul de l’économie américaine, de nouvelles annonces pourraient bien amener le président américain à reculer sur certains points dans les mois à venir.
[1] Selon le plan publié en février, les navires construits en Chine devraient entre 500 000 et 1,5 million $ pour chaque escale portuaire. Ces frais ont depuis été revus à la baisse, notamment pour les petits navires et les navires transportant des exportations agricoles.
[2] SeaOwl, EXAIL, Marine Tech, SeaProven, SIRENHA, Marinetech, etc.
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