Sinistrée après le départ des couteliers, la vallée des usines à Thiers, dans le Puy-de-Dôme, abrite depuis 40 ans un atypique centre d’art contemporain où dialoguent artistes et artisans, trait d’union entre le passé industriel de la ville et sa renaissance.
Le Creux de l’Enfer, qui va rouvrir ses portes après d’importants travaux, est installé dans deux bâtiments du XIXe siècle: l’usine qui lui a donné son nom, avec ses grandes baies vitrées, et l’usine du May, ornée de briques rouges et de pierres de Volvic.
« L’originalité du site, la lumière, le bruit de la Durolle, l’usine, toute cette mémoire passionne les artistes », souligne Vincent Speller, architecte du projet, déjà à l’oeuvre lors de la transformation du bâtiment en 1987.
La rivière La Durolle, qui coule dans ces gorges sombres et encaissées, a longtemps alimenté une intense activité industrielle, dont les premières traces remontent au Moyen-Age: tanneries, papeteries, scieries puis coutelleries ont profité de la force hydraulique.
L’arrivée de l’électricité a permis aux usines de se passer de l’eau et les couteliers ont abandonné la vallée pour la plaine. Certains ont fermé définitivement au tournant des années 80, touchés de plein fouet par la récession économique et la concurrence asiatique.
Désormais, des bâtiments fantômes hantent le site, témoins de l’histoire industrielle et architecturale des lieux. Mais 10.000 visiteurs s’y rendent chaque année pour voir les oeuvres exposées au Creux de l’enfer.
– « Avec fracas » –
Gaëlle Chotard, sculptrice et dessinatrice de 52 ans qui a exposé jusqu’en mai, a travaillé plusieurs jours avec le coutelier Geoffroy Gautier à la restauration d’anciennes faucilles. Elle les a ensuite utilisées dans son exposition, en les plantant dans le mur, comme autant de « coups de pinceaux dans l’espace ».
« Je n’aurais jamais eu l’idée de ces faucilles si je n’étais pas venue à Thiers », explique l’artiste qui vit en région parisienne. « Cette expérience m’a marquée, de même que l’histoire des lieux, cette rivière qui arrive avec fracas dans la vallée, ce paysage en rapport avec la façon dont on travaille le métal. »
Après avoir rencontré plusieurs couteliers, elle a puisé son inspiration dans cette « activité reprise par des gens assez jeunes, contrairement à ce que l’on peut imaginer », se disant « fascinée par ce qu’on peut faire du métal, le fait de le forger, le souder, le marteler ».
Au Creux de l’Enfer, ce dialogue est permanent. « Acteurs économiques, habitants, scolaires: nous travaillons en imprégnation avec notre écosystème et c’est l’essentiel pour que nos lieux puissent avoir une pérennité », analyse la directrice Sophie Auger-Grappin.
« C’est un centre d’art contemporain qui s’est beaucoup appuyé sur le bassin et particulièrement ses savoir-faire techniques, technologiques, industriels, artisanaux », souligne aussi le maire Stéphane Rodier.
– « En rebond » –
C’est en 1986 que la mairie de Thiers acquiert l’usine du Creux de l’Enfer et, sous l’impulsion du maire socialiste de l’époque Maurice Adeva-Poeuf, y installe un centre d’art contemporain.
A l’arrivée de l’actuelle directrice en 2019, un diagnostic du bâtiment relève sa vétusté, son usure avancée et une isolation thermique insuffisante. La ville engage alors la restauration complète du site. Coût des travaux: 2,3 millions d’euros, financés à 55% par la Ville mais aussi par l’État et la Région.
Avec sa nouvelle peau, le centre d’art est le « reflet d’une ville qui est plutôt en rebond avec une industrie qui est repartie de l’avant sur notre territoire », estime le maire, citant l’arrivée prochaine du joaillier Van Cleef & Arpels avec plusieurs centaines d’emplois à la clé.
Signe de ce frémissement ? Des couteliers réinvestissent la vallée. La ville, qui compte 12.000 habitants, attire de nouveaux venus après avoir connu un fort déclin démographique.
Les locaux flambant neuf doivent être inaugurés vendredi avec une exposition collective « in vivo » qui entend justement « raviver l’âme des lieux ».
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